LES CHOSES. UNE HISTOIRE DE LA NATURE MORTE

dal 12 ottobre 2022 al 23 gennaio 2023

Avec l’exposition «Les choses » le Louvre remet à l’honneur un genre souvent considéré comme mineur malgré  son succès auprès des amateurs: la nature morte. L’expression française«nature morte », née à la fin du 17e siècle,  définit mal ce qui est en réalité la représentation d’un amoncellement de choses, parfois bien vivantes, associées  selon un ordre choisi par l’artiste. Le mot « chose » adopté par l’exposition semble donc plus adéquat pour traiter cette thématique dans son ensemble.

Depuis les débuts de l’humanité, les hommes s’intéressent à l’observation et à la représentation des choses.  Celles-ci occupent une place importante dans nos vies en tant qu’objets matériels, bien sûr, mais également  symboliques. Leur représentation a donc beaucoup à nous apprendre sur l’évolution de la pensée, et sur la  vie quotidienne d’hier à aujourd’hui. Le genre de la nature morte permet ainsi d’entrevoir les croyances, les  peurs ou encore les désirs et les rêves de l’être humain, au fil des époques et dans diverses cultures. Il nous  invite aussi à questionner notre attachement actuel aux choses, entre surconsommation et préoccupations  environnementales et écologiques.

L’exposition présente près de 170 œuvres réparties en 15 sections chronologiques allant de la Préhistoire au 21e siècle. Si la nature morte ne devient un genre pictural indépendant qu’au 17e siècle, les premières sections de l’exposition montrent que l’histoire de la représentation des choses commence bien avant cette date. Les haches préhistoriques (3500 avant notre ère), exposées en début de parcours, témoignent de la volonté de représenter les  choses avant l’invention de l’écriture. Dans l’Antiquité, en Égypte ou en Mésopotamie, les choses représentées  sur les bas-reliefs ou les tables d’offrandes funéraires accompagnent les morts pour qu’ils ne manquent de rien dans l’au-delà.

On croit souvent à tort que l’art du Moyen Âge abandonne la représentation des choses pour privilégier celle  du divin. Or, si elles ne sont plus représentées pour elles-mêmes, les choses sont néanmoins présentes dans l’art religieux, en tant qu’objets symboliques, tant en Orient qu’en Occident. En proposant un dialogue permanent entre œuvres anciennes et contemporaines, l’exposition invite à embrasser une histoire globale de la représentation des choses à travers différents médiums artistiques tels que la peinture, la sculpture, la vidéo, le cinéma ou encore la photographie. Cette exposition nous propose donc une vision nouvelle de la nature morte en élargissant ses frontières géographiques, chronologiques et artistiques et en questionnant notre rapport aux choses, d’hier à aujourd’hui.

Nature morte

Peinture ayant pour sujet principal des objets de la vie quotidienne, des fleurs, des fruits, des légumes, du gibier ou encore des poissons chargés d’un caractère symbolique. C’est au 17e siècle que la nature morte devient un genre pictural  indépendant. Vers 1650 apparaît aux Pays-Bas le terme de still-leven (nature immobile) qui se traduit par stilleleben en Allemagne et enfin still-life dans les pays anglo-saxons. En France, jusqu’au 17e siècle, on parle de «Nature inanimée », de «Choses mortes et sans mouvement» ou encore  de «Vie immobile et silencieuse ». Au 18e siècle, le succès de ce genre nécessite l’adoption d’un terme nouveau et, en 1756, apparaît l’expression «nature morte».

Vanité
Nature morte dont les objets font référence à la fragilité et à la brièveté de l’existence humaine, ce qui signifie qu’il faut se tourner vers Dieu plutôt que vers les plaisirs terrestres. Le motif que l’on retrouve le plus souvent est le crâne qui rappelle la finitude de notre existence terrestre. D’autres motifs récurrents symbolisent le temps qui passe (fleurs fanées, fruits gâtés, sablier…) ou encore les plaisirs éphémères de la vie dont il faut se détacher, comme la musique, la lecture ou la bonne chère.

Scène de genre
Peinture qui figure des scènes de la vie quotidienne. Ce genre naît au 17e siècle en opposition à la peinture d’Histoire qui représente des scènes historiques, mythologiques ou religieuses. La scène représentée, toute anodine et légère qu’elle semble être, cache souvent un enseignement moral ou religieux destiné à l’observateur. 

Ready -made
Un ready-made est un objet de la vie quotidienne qui est détourné de sa fonction utilitaire pour atteindre le statut d’œuvre d’art. C’est l’artiste Marcel Duchamp (1887-1968) qui crée les premiers ready -made à partir de 1913, dont le plus célèbre est son urinoir présenté à l’envers, qu’il rebaptise Fontaine en 1917.

Représenter les choses et l’art des choses ordinai

L’exposition donne une première définition des choses qui sont « les petits restes de l’histoire individuelle et collective, même si le temps les rend difficiles à comprendre dans toutes leurs significations ».
L’exposition ouvre avec le tableau de Georges de La Tour représentant la Madeleine.
Cette œuvre d’une immense sobriété met en scène une nature morte d’une remarquable simplicité et qui constitue le cœur significatif de la composition. Dans le même espace, des figurations antiques rappellent que la représentation d’un objet ou de nourritures n’est que rarement un simple décor et que la signification qui les accompagne est souvent complexe.

Les objets de la foi

Durant toute la période médiévale et au début de la Renaissance, les choses ne sont qu’une partie d’un tout, un détail de plus ou moins grande importance au cœur d’une composition plus vaste. Chargées d’une forte symbolique, elles apparaissent dans l’iconographie chrétienne et s’appliquent à presque tous les domaines de la création artistique, peinture, sculpture, arts précieux. Là, chaque détail, chaque objet constitue un maillon d’une longue chaîne d’images dont la symbolique, sans doute bien connue à l’époque, nous est plus que partiellement identifiable aujourd’hui.

Émancipation

À partir du début du 16e siècle, la figuration des choses connaît une nouvelle évolution car celles-ci quittent peu à peu le domaine du sacré pour renouer avec une tradition décorative inspirée en partie du monde antique. La chose devient alors sujet à une représentation privée partiellement symbolique : elle montre la renaissance d’un intérêt pour le monde du matériel et du quotidien. À partir de cette époque, la figuration illusionniste de choses et d’objets, qui deviennent le sujet principal d’une composition, se multiplie.

Accumulation, échange, marché, pillage

À partir du milieu du 16e siècle, les artistes s’intéressent à la multiplication et à l’accumulation des choses. Symboles de diversité et de richesse, elles deviennent le sujet principal de compositions parfois monumentales. L’humain est lié à elles, celui qui en profite et dont elles témoignent de la richesse, mais aussi le paysan qui les produit, le marchand qui les met en vente.

Sélectionner, collectionner, classer

À partir de la fin du 17e siècle, la représentation des choses n’est plus synonyme d’amoncellement parfois hétéroclite, mais s’apparente plus régulièrement à un rassemblement d’éléments moins nombreux et soigneusement sélectionnés en fonction de leur couleur, de leur forme, de leur signification. C’est le moment qui marque la naissance de la nature morte, un genre considéré comme mineur par les académies et donc un domaine dans lequel excellent plus particulièrement les femmes.

Tout reclasser

L’art de représenter les choses continue à évoluer dans de nouvelles directions. Au 16e siècle, Giuseppe Arcimboldo fait de l’humain un assemblage de choses, fruits, légumes, fleurs qu’il combine pour créer des formes. La simple représentation des choses retrouve au 18e siècle ses lettres de noblesse avec le naturalisme d’un Chardin qui sait  rendre à la perfection surfaces et matières et qui donne à ses compositions grandeur et valeur.

Vanité

La plus ancienne vanité connue est romaine et date du 1er siècle de notre ère. Si la figuration des choses symbolise abondance, rareté, richesse, elle rappelle aussi la vanité des hommes et l’aspect inéluctable du pourrissement et de la déchéance. La mort est présente à partir du 16e siècle sous forme d’un crâne associé souvent à des objets qui symbolisent le temps qui passe comme le sablier ou la bougie.

La bête humaine

Déjà dans l’Antiquité on a représenté des images d’animaux morts. Ils sont là pour rappeler la fragilité de l’existence des êtres vivants, animaux mais aussi humains. Le début du 19e siècle voit une transformation importante sans doute due aux troubles et aux violences causés par l’épisode napoléonien: les cadavres d’animaux deviennent des carcasses réalistes chez Goya, Géricault multiplie les peintures montrant des parties de corps humains, parfois des têtes de suppliciés sombrement réalistes.

La vie simple

Le 19e siècle renoue avec la simplicité des choses telle que Chardin l’avait développée un siècle plus tôt. Certains choix de sujets qui sont faits servent à magnifier ce qui peut sembler au premier abord d’une parfaite banalité : un jambon, une botte d’asperges deviennent une chose noble et intéressante. Un intérieur simple et calme, valorisé par un éclairage travaillé, devient un espace baigné de lumière, un cadre de vie douillet et précieux malgré sa simplicité et sa rigueur.

Dans leur solitude

Dans des temps plus proches de nous, à partir du début du 20e siècle et surtout dans la période de l’entre-deux-guerres, les sujets des natures mortes commencent à s’isoler par rapport au cadre qui leur est donné. Les choses quittent les tables et les marchés sur lesquels elles étaient soigneusement disposées et se placent dans un décor qui n’a plus rien à voir avec leur nature originelle. Le cœur du sujet s’enferme dans une superbe solitude qu’il n’avait jamais connue avant.

Choses humaines

Depuis les temps les plus anciens, les poupées font partie de l’environnement humain, elles servent à marquer le passage de l’individu vivant à sa représentation sous forme de chose. Leur signification est variée entre magie, sexualité, ironie, poésie… Le 20e siècle joue avec tout ou partie de la figuration humaine, donnant à la chose qu’il représente valeur d’illustration et de leçon pour l’humanité entière.

Les temps modernes

C’est Marcel Duchamp qui fait de l’objet industriel banal une œuvre d’art à part entière en l’isolant et en magnifiant sa simplicité et sa banalité. La période moderne ne s’applique plus à la reproduction exacte des choses, mais plutôt à leur évocation symbolique. La matière entre dans l’œuvre d’art par l’introduction de fragments de tissus, de journaux, de photographies, plus tard de plastique et de déchets. Le 20e siècle donne aussi forme à la série, au bruit, à la vitesse, chose qui n’avait jamais été faite auparavant.

Objets poétique

Quelles qu’elles soient les choses ont un pouvoir magique, et les artistes de la seconde moitié du 20e siècle ont su, par leur intermédiaire, aller à l’encontre de la mécanisation et de la rationalisation. En assemblant ou en utilisant simplement des choses du quotidien, en leur donnant une signification symbolique, inhabituelle ou poétique, les artistes ont su créer chez le spectateur curiosité, émerveillement ou agacement, ils ont su intriguer et déranger. Brocantes et décharges deviennent les lieux où l’on sélectionne les objets et les matières qui vont être utilisés pour la réalisation d’une œuvre ou d’une installation.

Métamorphoses

Le terme métamorphose définit l’instabilité du monde dans lequel nous vivons. Aujourd’hui, les choses ne sont plus que de froids pastiches parfois chargés d’une lourde signification historique, politique ou éthique ; elles conservent pourtant la vertu de parler symboliquement d’affaires qui restent essentiellement liées à l’humain. Les choses traduisent les plaisirs de l’homme, elles abordent en plus la mort, lasolitude, la précarité, la recherche d’un refuge, les incertitudes des changements climatiques.

Commissariat: Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art Avec la collaboration de Thibault Boulvin et Dimitri Salmon