POUSSIN ET L’AMOUR

dal 26 novembre 2022 al 5 marzo 2023

POUSSIN ET L’AMOUR 

Le génie de Nicolas Poussin n’a pas encore livré tous ses secrets. L’artiste est toujours considéré comme difficile, sévère. C’est le maître de l’école classique française, l’archétype du peintre-philosophe. Qui sait aujourd’hui qu’il s’est également adonné au pur plaisir de peindre, en déployant une iconographie des plus licencieuses, et que certains de ses tableaux ont été jugés si érotiques qu’ils ont été mutilés, découpés, voire détruits, dès le 17e siècle? C’est grâce au thème de l’Amour, qui a rarement été aussi central dans l’œuvre d’un artiste, que nous voudrions faire découvrir ce Poussin méconnu, sensuel, séducteur et séduisant. Avant même son séjour romain, sous l’influence d’un poète, le cavalier Marin, la confrontation avec Ovide a constitué une pierre de touche. Puis l’artiste s’est fait remarquer par l’hédonisme titianesque de ses premiers tableaux romains, où les modalités de la domination de l’Amour sur les hommes comme sur les dieux sont déclinées et mises en scène à travers les mythes de l’antiquité gréco-romaine. L’amour a constitué un sujet et une inspiration constante pour l’artiste, jusqu’aux derniers chefs-d’œuvre, méditations picturales sur les ressorts de la puissance inflexible de l’amour, aussi bien créatrice que destructrice. Bien loin de l’image austère du peintre-philosophe, qui s’est imposée pour le grand public, il faut aujourd’hui montrer un Poussin sensuel, voire érotique, mais aussi peintre-poète proposant une méditation profonde sur la puissance universelle et tragique de l’amour.
En organisant une exposition consacrée à «Poussin et l’amour», le musée des Beaux-Arts de Lyon entend mettre à l’honneur l’acquisition de La mort de Chioné de Nicolas Poussin réalisée en 2016, comme il le fit en 2008 en organisant une exposition faisant écho à l’acquisition, en 2007, de La fuite en Égypte du même artiste. Le peintre séjourna à de nombreuses reprises à Lyon et il fut lié à la ville par un important réseau de relations amicales et commerciales qu’il y développa. C’est ainsi que La Mort de Chioné a été peinte pour le soyeux lyonnais Silvio I Reynon lors d’un séjour à Lyon de Poussin, vers 1622. Une quarantaine de peintures et de dessins de Poussin figurent dans l’exposition qui s’articule en cinq sections. Deux dossiers associent plus spécifiquement un tableau avec un groupe de dessins, un premier autour de La mort de Chioné du musée de Lyon et un second autour d’Apollon amoureux de Daphné du musée du Louvre.

LE SOUFFLE DE L’INSPIRATION

Aucun peintre n’a traité aussi souvent que Nicolas Poussin le thème de l’inspiration poétique. Dans ces tableaux, qui sont autant de réflexions sur les ressorts de la création, l’inspiration est insufflée par Apollon, le dieu des arts et de la poésie, par les Muses, mais aussi par Vénus, la déesse de l’amour. L’amour y tient une place centrale, le peintre mettant aussi bien l’accent sur le caractère apollinien de l’inspiration, c’est-à-dire sur la sérénité et l’harmonie artistique, que sur son caractère dionysiaque, sous-entendu la folie et la fureur créatrice.
Dans l’œuvre de Poussin, la thématique amoureuse procède d’une réflexion sur l’origine du geste créateur, sans doute née de sa rencontre, en 1623, à la veille de son départ à Rome, avec le célèbre poète italien Giambattista Marino (1569-1625), avec lequel il se lie d’amitié. C’est probablement aux côtés de l’auteur de l’Adone, poème-fleuve relatant les amours de Vénus et Adonis, que Poussin apprend combien l’amour est le fondement même de l’invention et que Les Métamorphoses d’Ovide constituent une source inépuisable de sujets pour ses tableaux. La Mort de Chioné, à l’origine de cette exposition, illustre un récit précisément tiré des Métamorphoses. Peinte à Lyon vers 1622, à l’occasion d’un séjour prolongé que le peintre y effectue avant de s’établir à Rome, cette œuvre témoigne de l’intérêt de Poussin pour ce texte antique dès cette date.
En peignant Le Triomphe d’Ovide (vers 1624, Rome, Galerie Corsini), L’Inspiration du poète du musée de Hanovre (vers 1626) et celle du Louvre (vers 1628-1629), le peintre revendique le statut de peintre-poète, dans le sillage d’Ovide et de Marino.

CORPS DÉSIRÉS

Si Nicolas Poussin est généralement considéré comme un artiste austère, il est également l’auteur d’œuvres sensuelles, voire érotiques, exécutées d’une touche franche et libre. Dès le 17e siècle, certaines ont tant choqué qu’elles ont été vandalisées ou ont subi des repeints de pudeur, destinés à cacher des parties du corps féminin jugées trop provocantes.
Dans ces œuvres, pour la plupart peintes peu de temps après son installation à Rome en 1624, Nicolas Poussin s’inspire de gravures érotiques réalisées d’après des dessins des artistes italiens du 16e siècle Marcantonio Raimondi (1480-1534), Jules Romain (vers 1492/1499-1546) et Annibal Carrache (1560-1609), ainsi que de tableaux du Titien (vers 1488-1576), tels que L’Offrande à Vénus et la Bacchanale des Andriens (Madrid, musée du Prado), découverts à son arrivée à Rome. Ces compositions s’organisent généralement autour d’un grand nu féminin placé au premier plan, le plus souvent Vénus ou une nymphe, apparaissant comme un objet de désir pour des satyres.
Les amours des dieux, telle la passion éprouvée par Vénus pour le jeune chasseur Adonis relatée par Ovide dans Les Métamorphoses, donnent également lieu à des représentations sensuelles. Le peintre se plait à peindre les deux amants enlacés ou endormis dans les bras l’un de l’autre, dans des toiles destinées à des amateurs romains prisant ce type d’œuvres, bien qu’elles soient réprouvées dans le climat très prude de la Réforme catholique à Rome.

L’IVRESSE DIONYSIAQUE

Dieu du vin, de l’ivresse, de la fécondité, de la folie et des plaisirs des sens, Bacchus (Dionysos pour les Grecs) occupe une position privilégiée dans de nombreux tableaux peints par Nicolas Poussin dans lesquels il est question d’amour.
Les bacchanales sont des fêtes en l’honneur de Bacchus où la boisson, le rire, le chant et la danse vont de pair avec le plaisir charnel. Les cortèges bachiques, constitués de satyres, de nymphes et d’amours, y célèbrent, avec le dieu, la fertilité de la nature, en même temps qu’ils expriment l’ivresse libératrice des pulsions amoureuses. Comme l’écrit le poète latin Ovide dans L’Art d’aimer, le vin inventé par Bacchus «prépare les cœurs et les rend aptes aux ardeurs amoureuses; les soucis fuient et se noient dans des libations multiples. Alors naît le rire; alors le pauvre prend de la hardiesse; alors disparaît la douleur, ainsi que nos soucis et les rides de notre front».
Bacchus doit être considéré dans les œuvres de Nicolas Poussin à la fois comme le double et l’opposé d’Apollon, car il incarne le déchaînement de la fureur poétique.

AMOUR ET MORT

Des tableaux les plus sensuels de Nicolas Poussin sont aussi les plus mélancoliques, l’ombre de la mort planant sur les plaisirs de l’amour. Ce paradoxe procède de la lecture par le peintre des Métamorphoses d’Ovide, où les amours des dieux prennent invariablement un tour tragique. Le rythme du monde, succession implacable de la vie et de la mort, est décrit dans ce texte à travers des cycles de transmutations et de renaissances perpétuelles. Dès le premier tableau connu de Poussin, La Mort de Chioné, l’évocation du trépas de la jeune mortelle châtiée par la déesse Diane est associée à celle du désir que sa beauté a fait naître chez Mercure et Apollon. Par la suite, Poussin ne cesse de s’inspirer des Métamorphoses pour relater le dénouement funeste des histoires d’amour: le berger Acis sur le point d’être tué par le géant Polyphème et de renaître sous la forme d’un fleuve, Daphné préférant se transformer en laurier plutôt que d’être aimée d’Apollon, Narcisse mourant de ne pouvoir étreindre sa propre image et se changeant en fleur du même nom ou encore Adonis tué par un sanglier en dépit des avertissements de Vénus, et dans le sang duquel naîtra une anémone.
Dans le tableau représentant Pyrame et Thisbé, deux amants qui se sont ôtés la vie suite à une tragique méprise, Poussin approfondit cette réflexion sur les liens entre amour et mort en une méditation philosophique sur les passions humaines. Les eaux calmes et lisses du lac au centre de la composition semblent être là pour nous rappeler que l’âme du sage doit demeurer impassible au milieu des désordres générés par la folie amoureuse.

OMNIA VINCIT AMOR

La formule «Omnia vincit amor et nos cedamus amori» («l’amour triomphe de tout et nous-même succombons à l’amour»), apparaît dans Les Bucoliques (X,69), un ouvrage du poète latin Virgile (70-19 av. J.-C.) paru en 37 av. J.-C. Celui-ci chante la puissance universelle de l’amour, fureur inspiratrice qui assure la cohésion et l’unité du monde en soumettant les hommes comme les dieux à son empire.
La suprématie de l’amour est notamment illustrée, dans l’œuvre de Nicolas Poussin, par la séduction que Vénus exerce sur Mars, le dieu de la guerre. Ce dernier accepte en effet de se laisser désarmer par la déesse de l’amour pour continuer à profiter de ses charmes. Cette méditation sur l’amour nourrit l’ultime chef-d’œuvre de Nicolas Poussin, Apollon amoureux de Daphné (musée du Louvre), resté inachevé à la mort du peintre. Au crépuscule de sa vie, Poussin revient sur la première histoire d’amour des Métamorphoses d’Ovide, qui affirme la toute-puissance de celui-ci. Avant de décocher sa flèche contre Apollon afin de lui inspirer une passion irrépressible et contrariée pour la nymphe Daphné, Cupidon l’informe, en effet, que son pouvoir est supérieur au sien, car il peut lui infliger les tourments de l’amour.

Commissariat: Nicolas Milovanovic, Conservateur en chef du Patrimoine, Département des Peintures, musée du Louvre; Mickaël Szanto, Maître de conférences, Sorbonne Université Ludmila Virassamynaïken, Conservatrice en chef du Patrimoine, en charge des peintures et sculptures anciennes, musée des Beaux-Arts de Lyon.

Avec la collaboration exceptioneelle du musée du Louvre.

L’exposition bénéficie du soutien du Club du musée Saint-Pierre, mécène principal de l’exposition, grâce auquel le tableau de Nicolas Poussin, La Mort de Chioné, est entré dans les collections du musée.

 

 

PICASSO-POUSSIN. BACCHANALES

Muséé des Beaux-Arts de Lyon
26 novembre 2022 – 5 mars 2023

Pensée dans la continuité de l’exposition Poussin et l’Amour, cette exposition-dossier propose d’interroger la place de l’héritage de Nicolas Poussin dans l’art de Pablo Picasso. Le thème des bacchanales, fêtes célébrées en l’honneur de Bacchus, dieu antique du vin et de l’ivresse, a particulièrement nourri l’imaginaire de l’artiste.
Entre le 19 et le 25 août 1944, dans le contexte des combats pour la Libération de Paris, Picasso travaille dans son atelier de la rue des Grands-Augustins et dans l’appartement de sa compagne Marie-Thérèse Walter et de leur fille Maya, situé boulevard Henri IV.  Il réalise, entre le 24 et le 29 août, une Bacchanale à la gouache et à l’aquarelle (collection particulière), précédée d’un dessin à la plume, d’après Le Triomphe de Pan de Poussin (1636, Londres, The National Gallery), dont une copie, ici exposée, est conservée au musée du Louvre. Cette œuvre rend compte de l’atmosphère effervescente de Paris à la veille de la Libération.
La Bacchanale de 1944, dont une estampe est présentée dans l’exposition, est le point de départ d’une réflexion consacrée au regard que porte Picasso sur l’œuvre de Poussin tout au long de sa carrière. L’exposition se concentre sur l’interprétation par l’artiste du thème de la bacchanale des années 1930 jusqu’à la fin des années 1960, particulièrement dans les dessins qui ont accompagné le tableau La Joie de vivre (1946, Antibes, musée Picasso) et dans les cycles d’œuvres gravées entre 1930 et 1968. Cette exposition-dossier permet également de replacer la Bacchanale de 1944 au sein du corpus des œuvres réalisées par Picasso pendant l’Occupation.

DE L’OCCUPATION À LA LIBÉRATION

Depuis août 1940, Picasso vit dans son atelier de la rue des Grands-Augustins, à Paris et se livre à une activité artistique d’une extraordinaire intensité. Les photographies de l’atelier, celles prises par Brassaï en particulier, saisissent les nombreuses natures mortes qui font écho aux privations de la guerre. Les pots, les pichets ou les plants de tomates deviennent les modèles privilégiés de cette période. 

Le début de l’année 1944 est assombri par l’arrestation du poète Robert Desnos à Fresnes le 22 février et l’annonce de la mort du poète Max Jacob le 5 mars au camp de Drancy. Dans ce contexte, la Bacchanale d’août 1944 est perçue comme une ode à la liberté retrouvée. D’après Pierre Daix, avec cette œuvre, Picasso «fait chanter à Poussin le tourbillon de joie d’un peuple qui, les armes à la main, se libère». La photographe américaine Lee Miller, devenue correspondante de guerre en 1942, réalise pour le magazine Vogue un reportage photographique sur la Libération et témoigne en images de la notoriété dont jouit Picasso au sortir de la guerre.

APRÈS 1945, LA JOIE DE VIVRE

Les bacchanales apparaissent à différents moments de la carrière de Picasso. Déjà très présentes dans les gravures de la Suite Vollard (1930-1937), elles ressurgissent dès 1946 dans une série de dessins inspirés par Françoise Gilot en lien avec la peinture La Joie de vivre (1946, Antibes, Musée Picasso) exécutée à Antibes, intitulée à l’origine Bacchanale au bord de la mer.
L’artiste Françoise Gilot rencontre Picasso en mai 1943 à Paris au restaurant Le Catalan et devient sa compagne. Représentée deux fois dans la Bacchanale d’après Le Triomphe de Pan de Poussin d’août 1944, c’est elle qui mène la danse dans La Joie de vivre. Cette œuvre est précédée et accompagnée par une série de dessins qui font dialoguer trois figures de la mythologie grecque – le centaure, le faune et la nymphe -, bientôt interprétées en céramique dans l’atelier Madoura à Vallauris. Durant l’été et l’automne 1946, le sculpteur et photographe Michel Sima consigne l’avancement du travail de Picasso au château Grimaldi, que son conservateur, Romuald Dor de la Souchère, a mis à sa disposition.

BACCHANALES GRAVÉES.
DU DÉSIR ET DE SES RENVERSEMENTS

De 1930 à 1968, Pablo Picasso réinterprète le thème de la bacchanale dans des cycles de gravures. La Suite Vollard se compose de cent gravures, exécutées entre 1930 et 1937 à l’initiative d’Ambroise Vollard, premier marchand de l’artiste. Dans certaines planches, Picasso rejoue le thème de la dormeuse observée, motif érotique qu’il partage avec Poussin mais aussi avec la grande tradition artistique.
Entre novembre 1959, Picasso réalise une série de gravures sur linoléum, imprimée à Vallauris chez Hidalgo Arnéra, déclinant des paysages avec faunes musiciens, chèvres et bacchanales. Cette série s’inscrit à la fois dans la tradition de Poussin et de Matisse. La Suite 347, quant à elle, a été présentée à la galerie Louise Leiris (Paris) en 1968. Elle a été réalisée à Mougins grâce au concours de deux maîtres imprimeurs, les frères Crommelynck. Dans cet ensemble gravé, Picasso cite plusieurs artistes, dont Poussin et Rembrandt. Plusieurs scènes sur le thème du voyeurisme renvoient sans doute à la  propre curiosité sexuelle de l’artiste. La critique féministe s’en est depuis longtemps saisie, en les reliant aux relations empreintes de brutalité de Picasso avec ses compagnes. Ses figures de satyres, faunes et minotaures mettent en regard sa vision de la sexualité et sa production artistique.

Commissariat: Sylvie Ramond, Directeur général du pôle des musées d’art MBA | macLYON, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon; Zoé Marty, conservatrice responsable des collections, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne.

Une exposition organisée dans le cadre de la “Célébration Picasso 1972-2023 : 50 expositions et événements pour célébrer Picasso”.

L’exposition est organisée en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris.